Pour le magazine Le Mag de l’Immo n° 267 (du 29 avril au 20 mai 2024), Maître Éric SEUTET nous délivre 3 actualités législatives et jurisprudentielles dans le secteur immobilier :

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Expulsion : fin de la trêve hivernale

La trêve hivernale, qui courrait depuis le 1er novembre dernier, a pris fin le 31 mars.

Rappelons que durant cette période de protection, aucun locataire ne peut être expulsé (sauf rares exceptions).

Les propriétaires, confrontés à des impayés de loyers, n’ont donc pas d’autre choix que d’attendre le 1er avril pour recourir aux services d’un huissier de justice afin de mettre en œuvre le jugement d’expulsion qu’ils ont entre les mains.

Pour mémoire, le propriétaire qui ne respecte pas la trêve hivernale et qui essaie, par quelconque moyen, de forcer le locataire à quitter les lieux durant cette période commet un délit puni d’une peine de prison allant jusqu’à trois ans et 30 000 € d’amende.

De son côté, le locataire, en proie à des difficultés financières, a tout intérêt à en parler avec son bailleur afin de tenter de trouver rapidement une solution amiable, avant la mise en place d’une procédure d’expulsion. Il peut également bénéficier d’aides, comme le fonds de solidarité pour le logement (FSL), afin d’être épaulé dans le paiement de ses loyers et charges.

Loi n° 2014-366 du 24 mars 2014

Résiliation du bail : quand l’huissier omet de remettre le document informatif

Depuis le 1er juin 2017, l’huissier de justice (devenu commissaire de justice) chargé de la délivrance des assignations aux fins de constat ou de prononcé de la résiliation du bail, remet au locataire, en main propre ou, à défaut, par le dépôt dans sa boîte aux lettres, un document d’information en vue de l’audience.

A la différence de l’assignation, ce document informatif ne constitue toutefois pas un acte de procédure (au sens du Code de procédure civile). Dès lors, l’oubli de la remise ou du dépôt de ce document par le commissaire de justice n’entraine pas la nullité de l’assignation pour vice de forme.

Telle est le sens de la décision rendue par la Cour de cassation le 8 février dernier.

Dans cette affaire, un propriétaire avait signifié à son locataire un commandement de payer visant la clause résolutoire insérée au contrat de bail, puis l’avait assigné en constat d’acquisition de cette clause, expulsion et paiement d’un arriéré locatif.

Pour se défendre, le locataire avait attaqué l’assignation qu’il estimait atteinte de nullité puisqu’elle n’était pas accompagnée, comme le prévoit le décret du 9 mai 2017 précité, du document informatif rappelant au locataire les date, horaire et lieu de l’audience.

En vain.

Cour de cassation, 1ère chambre civile, 8 février 2024, pourvoi n° 22-24.806

Prêt à taux 0 : quand le locataire tente de se défendre

Confronté à des impayés de loyer depuis plusieurs mois, un bailleur saisit la justice afin de voir prononcer l’acquisition de la clause résolutoire du bail.

Pour sa défense, le locataire dénonce alors la violation, par son bailleur, de ses obligations inhérentes à sa qualité d’emprunteur d’un prêt à taux zéro.

Pour rappel, le bénéficiaire d’un prêt à taux zéro doit, sauf exception, occuper le logement à titre de résidence principale au moins pendant 6 ans après le versement du prêt.

Ainsi, pour le locataire, le bailleur ne peut se prévaloir d’un bail conclu en violation de ces dispositions légales.

En vain.

Saisie du litige, la Cour de cassation rappelle que la seule sanction à la transgression des règles inhérentes à l’octroi d’un prêt à taux zéro consiste à « rendre exigible le remboursement du capital restant dû ». Dès lors, le locataire ne saurait se prévaloir de la situation pour justifier le défaut de paiement du loyer stipulé par le contrat de location.

Cour de cassation, 3ème chambre civile, 14 mars 2024, pourvoi n° 21-25.798

Quelques autres actualités immobilières de mars et avril :

Sauf exception, tous les copropriétaires ont droit d’accéder aux parties communes !

Un copropriétaire assigne devant la justice le syndicat des copropriétaires afin de se voir délivrer, sous astreinte, le badge et le code d’accès à la cage d’escalier principal de l’immeuble.

Les juges rejettent toutefois sa demande aux motifs, d’une part, que l’intéressé ne participe pas aux charges relatives à l’escalier principal et, d’autre part, qu’il n’a aucun intérêt objectif à accéder à cet escalier puisque l’accès à son logement, situé au rez-de-chaussée, se fait par une porte donnant sur l’escalier de service.

Cette décision est néanmoins censurée par la Cour de cassation !

Force est en effet de constater, au regard du règlement de copropriété, que l’escalier principal constitue une partie commune générale (et non spéciale). A ce titre, il appartient donc indivisiblement à l’ensemble des copropriétaires, dont aucun ne peut se voir interdire l’accès.

Cour de cassation, 3ème chambre civile, 8 février 2024, pourvoi n° 22-24.119

Quitus donné au syndic en AG : importante précision

En 2010, un syndic est alerté sur la nécessité de remédier rapidement à des infiltrations et au gonflement d’une poutre de façade. Il va toutefois attendre trois ans pour solliciter l’avis de l’architecte qui préconise alors la réalisation urgente de travaux.

Trois années supplémentaires vont encore s’écouler avant que le syndic ne soumette à l’assemblée générale le vote des travaux qui ne seront finalement réalisés qu’en 2018.

Un des copropriétaires décide alors, sur le fondement de la responsabilité délictuelle, d’assigner en justice le syndic en indemnisation des préjudices financiers et de jouissance subis du fait du retard pris dans la réalisation des travaux.

Le syndic se défend, faisant valoir le quitus voté par l’assemblée générale qui, selon lui, le décharge de toute responsabilité.

En vain.

Le copropriétaire, qui vote en faveur d’une résolution de l’assemblée générale du syndicat des copropriétaires donnant quitus au syndic, s’il n’est pas recevable à demander, en application de l’article 42, alinéa 2, de la loi n° 65-557 du 10 juillet 1965, l’annulation de cette résolution, peut rechercher la responsabilité délictuelle du syndic pour obtenir réparation d’un préjudice personnel né de sa faute.

Cour de cassation, 3ème chambre civile, 29 février 2024, pourvoi n° 22-45.558

L’assureur est tenu de garantir l’assuré du risque couvert

Une société civile immobilière (SCI), qui entreprend des travaux dans un logement, souscrit une assurance dommage-ouvrage et une assurance constructeur auprès d’une société.

Se plaignant de divers désordres, le syndicat des copropriétaires de la résidence assigne en réparation devant les tribunaux, après expertise, la SCI et son assureur.

L’assureur et la SCI sont condamnés in solidum au profit du syndicat des copropriétaires.

La SCI conteste.

À l’appui de sa démarche elle soutient que son assureur est tenu de la garantir et, qu’à ce titre, elle ne saurait être condamnée.

Elle finira par avoir gain de cause.

Saisie du litige, la Cour de cassation rappelle en effet que l’assureur de responsabilité, condamné au titre de l’action directe, in solidum avec son assuré, au profit du tiers victime, doit sa garantie à l’assuré dès lors que le risque couvert par le contrat s’est réalisé.

Cour de cassation, 2ème chambre civile, 15 février 2024, pourvoi n° 21-22.457

Garantie décennale : attention, important changement !

Deux époux confient à une société le soin d’installer un insert au sein de la cheminée, déjà construite, de leur maison.

Quelques temps après, un incendie se déclare et ravage l’intégralité de la maison et du mobilier la garnissant.

Estimant que le sinistre est imputable à l’installation de l’insert, les époux assignent en justice la société et son assureur, sur le fondement de la garantie décennale, aux fins d’indemnisation de leur entier préjudice.

Jusqu’à présent, la Cour de cassation considérait en effet que tout désordre affectant des éléments d’équipement, qu’ils soient dissociables ou non, et qu’ils soient d’origine ou ajoutés à l’existant, relevait de la responsabilité décennale si ces dommages rendaient l’ensemble de l’ouvrage impropre à sa destination (ce qui était bien le cas en l’espèce).

Mais avec cette affaire, la Haute Cour fait radicalement évoluer sa position.

Elle juge désormais que les éléments d’équipement installés en remplacement ou par ajout sur un ouvrage existant, qui ne constituent pas en eux-mêmes un ouvrage au sens de l’article 1792 du Code civil, ne relèvent ni de la garantie décennale, ni de la garantie biennale de bon fonctionnement, quelle que soit l’importance des désordres résultant de ces éléments d’équipement.

Autrement dit, pour avoir gain de cause, le couple aurait dû agir sur le fondement de la responsabilité contractuelle de droit commun, non soumise à l’assurance obligatoire des constructeurs.

Cour de cassation, 3ème chambre civile, 21 mars 2024, pourvoi n° 22-18.694

Audit énergétique : ce qui a changé depuis le 1er avril 2024

Obligatoirement annexé aux actes de vente des logements les plus énergivores (logements classés F et G sur le diagnostic de performance énergétique), l’audit énergétique voit son contenu évoluer.

Depuis le 1er avril, le professionnel qui réalise l’audit peut, à la demande du propriétaire vendeur, proposer d’autres scénarios de travaux qui viennent ainsi s’ajouter aux deux propositions obligatoires.

Chaque proposition doit alors contenir les caractéristiques et critères de performance des matériaux ou équipements proposés ainsi que le type de matériaux d’isolation choisi.

Elles doivent par ailleurs être le moyen d’atteindre un niveau satisfaisant de confort hygrothermique (située entre 18 et 20 °C) en toute saison.

Si, par ailleurs, l’audit montre que le renouvellement de l’air dans le logement est insuffisant ou ne peut pas être maîtrisé, il doit désormais préciser que le système de ventilation doit être modifié dès la première étape du parcours des travaux.

Parallèlement, l’auditeur doit proposer, d’une part, un scénario en une étape permettant une amélioration de deux classes énergétiques du bâtiment, ou en deux étapes permettant au moins l’atteinte de la rénovation performante ; et, d’autre part, un second scénario permettant un traitement satisfaisant des interfaces et interactions.

Enfin, le contenu de l’audit énergétique n’est plus exprimé en surface habitable mais en surface après travaux et devra obligatoirement comprendre un descriptif des travaux avec un certain nombre de mentions obligatoires.

Arrêté du 29 décembre 2023

L’architecte est tenu de réaliser un projet qui soit réalisable !

En vue de construire leur maison d’habitation, un couple de particuliers (agissant en tant que maitre d’ouvrage) confie à un architecte la mission d’établir les avant-projets, de réaliser le dossier du permis de construire et de consulter des entreprises sous la forme d’un appel d’offres.

L’architecte leur conseille alors de réaliser une étude de sol, démarche qui ne sera finalement pas effectuée.

Une fois la maison achevée, des fissures en façade apparaissent tenant à l’absence de prise en compte des contraintes du sol. Les juges mettent toutefois hors de cause l’architecte, retenant que sa mission s’était pour l’essentiel limitée au permis de construire.

Saisie du litige, la Cour de cassation censure cette décision.

Elle rappelle que, sauf à prouver que les dommages proviennent d’une cause étrangère, tout constructeur d’un ouvrage est responsable de plein droit des dommages qui compromettent la solidarité de l’ouvrage ou qui, l’affectant dans l’un de ses éléments constitutifs ou l’un de ses éléments d’équipement, le rendant impropre à sa destination.

Ainsi, informer le maître d’ouvrage de la nécessité de réaliser une étude de sol ne suffit pas à exonérer l’architecte de sa responsabilité !

Cour de cassation, 3ème chambre civile, 15 février 2024, pourvoi n° 22-23.682